L’opérateur ukrainien de la centrale nucléaire a annoncé ce jeudi que les deux derniers réacteurs avaient été déconnectés du réseau électrique. En quatre questions, Le Figaro fait le point sur les risques que cela engendre.
La centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande d’Europe, sous contrôle russe et victime de plusieurs bombardements, est «totalement déconnectée» du réseau après l’endommagement des lignes de communication, a annoncé ce jeudi 25 août l’opérateur ukrainien Energoatom.
«Les deux réacteurs de la centrale en fonctionnement ont été déconnectés du réseau. En conséquence, les actions des envahisseurs ont provoqué une déconnexion totale de la centrale nucléaire de Zaporijjia du réseau électrique, pour la première fois dans son histoire», a indiqué le groupe d’État Energoatom sur Telegram.
Selon l’opérateur ukrainien, des incendies sur le territoire de la centrale thermique de Zaporijjia, située à proximité de la centrale nucléaire dans le sud de l’Ukraine, ont provoqué par deux fois la déconnexion de la dernière ligne de communication reliant le site au réseau électrique. «Trois autres lignes de communication avaient été précédemment endommagées lors d’attaques terroristes» russes, poursuit Energoatom.
L’approvisionnement en électricité de la centrale nucléaire en elle-même est assuré depuis la centrale thermique, selon la même source. «Des opérations sont en cours pour connecter un réacteur au réseau», a-t-elle ajouté.
De quand date la centrale nucléaire de Zaporijjia ?
La centrale nucléaire de Zaporijjia, de conception soviétique, dispose de six réacteurs VVER-1000 V-320 refroidis à l’eau contenant de l’uranium 235, qui a une demi-vie de plus de 700 millions d’années.
La construction de l’édifice a commencé en 1980 et son sixième réacteur a été raccordé au réseau en 1995. Au 22 juillet, seuls deux de ses réacteurs fonctionnaient, selon l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN).
Quels sont les risques d’une déconnexion pour les réacteurs ?
Le plus grand risque vient d’une baisse de l’approvisionnement en eau. L’eau sous pression est utilisée pour évacuer la chaleur du réacteur et ralentir les neutrons pour permettre à l’Uranium 235 de poursuivre sa réaction en chaîne.
Si l’eau était coupée et que les systèmes auxiliaires tels que les générateurs diesel ne parvenaient pas à refroidir le réacteur, la réaction nucléaire ralentirait et le réacteur chaufferait très rapidement. À des températures aussi élevées, de l’hydrogène pourrait être libéré de la gaine de zirconium et le réacteur pourrait commencer à fondre.
Cependant, les experts affirment que le bâtiment abritant les réacteurs est conçu pour contenir les radiations et résister à des impacts majeurs, ce qui signifie que le risque d’une fuite notable y est encore limité.
«Je ne crois pas qu’il y aurait une forte probabilité d’une brèche dans le bâtiment de confinement, même s’il était accidentellement touché par un obus explosif et encore moins probable que le réacteur lui-même puisse être endommagé par celui-ci. Cela signifie que les matières radioactives sont bien protégées», a déclaré à Reuters Mark Wenman, chercheur en matières nucléaires à l’Imperial College de Londres.
Que va devenir le combustible usé ?
Outre les réacteurs, il existe également sur le site une installation de stockage du combustible nucléaire usé sous la forme de piscines utilisées pour le refroidir.
«Les bassins de combustible usé ne sont que de grandes piscines contenant des barres de combustible à l’uranium – elles sont plus ou moins chaudes en fonction de la durée de leur séjour là-bas», explique à Reuters Kate Brown, historienne de l’environnement au Massachusetts Institute of Technology dont le livre Manual for Survival documente toute l’ampleur de la catastrophe de Tchernobyl.
«Si de l’eau douce n’est pas mise, toute l’eau va s’évaporer. Une fois que l’eau s’évapore, la gaine de zirconium se réchauffe et peut prendre feu et nous serions alors dans une situation délicate avec de l’uranium irradié qui s’enflammerait, ce qui ressemblerait beaucoup à la situation de Tchernobyl, libérant tout un complexe d’isotopes radioactifs.»
Une émission d’hydrogène provenant d’une piscine de combustible usé a par exemple provoqué une explosion au réacteur 4 lors de la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en 2011.
Selon une documentation ukrainienne datant de 2017, il y avait 3354 assemblages de combustible usé dans l’installation de Zaporijjia et environ 1984 assemblages de combustible usé dans les piscines. Soit un total de plus de 2200 tonnes de matières nucléaires hors réacteurs.
Qui contrôle la centrale ?
Après avoir envahi l’Ukraine le 24 février, les forces russes ont pris le contrôle de l’usine début mars. Le personnel ukrainien continue de l’exploiter, mais des unités militaires russes spéciales gardent l’installation et des spécialistes nucléaires russes prodiguent leurs conseils.
L’Autorité internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’organisme de surveillance nucléaire de l’ONU, a averti que le personnel opère dans des conditions extrêmement stressantes.
«Nous ne savons pas ce qui se passe en temps de guerre lorsque nous avons une urgence nucléaire», s’est inquiété un responsable de l’AIEA.
«En 1986, tout fonctionnait aussi bien qu’en Union soviétique, de sorte qu’ils pouvaient mobiliser des dizaines de milliers de personnes, de matériel et de véhicules d’urgence sur le site.» «Mais qui serait en charge de cette opération pendant cette guerre ?»
Avec Reuters